Le droit du travail actuel peut-il parer à toutes les problématiques générées par le télétravail ? Quid des relations sociales ? Du contrôle du temps de travail, de l’activité ? Le point de vue de Michel Morand, avocat associé du cabinet HDV Avocats.
C’est une petite musique qui monte. Avec le télétravail généralisé, le droit du travail pourrait ne pas être adapté à toutes les situations. Et ouvrir la voie à de nouveaux contentieux. Dominique Laurent, DRH de Schneider Electric, en est convaincu. "Cette évolution ébranlera certains fondements du droit du travail élaborés pour partie sur une conception très collective des relations du travail. Se mettra-t-on un jour en grève de chez soi ? Quid du lien de subordination ? Prenez le cas d’un salarié en insuffisance professionnelle. Ne pourra-t-il pas contester le manque de soutien managérial s’il n’atteint pas ses objectifs ? Et que faire face à un collaborateur souffrant de lombalgies alors qu’il ne dispose pas d’un siège adéquat ?". Des questions qui pourraient selon le DRH faire évoluer le droit du travail vers un droit du télétravail. C’est également une évidence pour Jean-Emmanuel Ray, juriste et professeur de droit du travail à l'Ecole de droit de Paris I : "s'il n'évolue pas, le droit du travail court au suicide", indiquait-il le 28 janvier devant la Délégation sénatoriale aux entreprises qui organisait un colloque, jeudi dernier, sur les pratiques managériales. Sous l'effet de la dématérialisation des activités, des évolutions des aspirations des jeunes générations, du développement fulgurant du télétravail, le droit du travail ne correspond plus aux réalités contemporaines". "Des ajustements seront nécessaires" Faut-il dès lors un droit du travail revisité qui redéfinissent les relations sociales ? Le lien de subordination ? Le contrôle du temps de travail, de l’activité ? Ou à défaut, allons-nous vers de nouveaux contentieux ? Pour Michel Morand avocat associé du cabinet HDV Avocats, des ajustements seront, en effet, nécessaires. "Il y aura de nouveaux contentieux. Le recours massif au télétravail devrait alimenter les débats devant les juridictions du travail par les diverses problématiques qu'il est susceptible de faire naître, en lien par exemple avec le respect des règles relatives à la durée du travail et aux temps de repos, au droit à la déconnexion ou encore à la mesure de la charge de travail et aux conditions de travail". Zones grises Plusieurs zones grises existent. A commencer par la visite du domicile. "La commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) du CSE peut effectuer des visites sur les lieux d’exercice de l’activité du salarié mais lorsqu’il s’agit du domicile, la visite ne peut se faire sans l’accord du salarié", indique l’avocat. En clair : ni l’employeur, ni aucun membre de la société ne peut donc venir au domicile du salarié. D’où la difficulté d’appréhender le local dans lequel le salarié exerce son activité et s’assurer qu’il est en conformité. Une clause insérée dans l’avenant est ainsi bienvenue. Laquelle permettra au salarié d’attester de la conformité de son installation électrique. Par ailleurs, le contrôle du salarié s’avère délicat. Un employeur peut par exemple installer sur l’ordinateur du salarié des "progiciels espion" qui enregistrent l’heure d’entrée dans le système, le temps passé, le nombre d’enregistrements effectués. Voire une caméra. Attention, toutefois : "ce contrôle ne peut se faire qu’avec l’accord du salarié. On touche là à l’espace privé". L’employeur doit informer le salarié des systèmes qu’il souhaite mettre en place. Pour rappel, si le système de surveillance des salariés est mis en place, il doit être pertinent et proportionné au but recherché. En outre, certains de ces dispositifs nécessitent, en plus de la consultation des IRP et de l’information des salariés, une déclaration à la Cnil. "Le contrôle du travail est plus complexe" Autre sujet épineux : le contrôle du temps de travail. L'employeur doit opérer le même contrôle que pour les salariés sur site. Or, "ce contrôle du travail est plus complexe lorsque le salarié n’est pas dans les murs de l’entreprise. La permanence du travail à domicile fait voler en éclats les horaires de travail ; les temps de pause n’existent plus". Pour autant, "l’employeur reste tenu de justifier, notamment en cas de contentieux, des horaires effectivement réalisés par le salarié". Qui plus est, "il peut être nécessaire d’adapter le dispositif forfait en jours pour les salariés qui en sont détenteurs". L’ANI n’a pas proposé d’aménagements afférents aux modalités de contrôle de la durée du travail des salariés. Aussi, l’accord collectif ou la charte doivent-ils avoir prévu les plages horaires durant lesquelles le salarié est censé être joignable. Il peut s’agir de systèmes auto-déclaratifs (via un logiciel de gestion des horaires installés sur l’ordinateur) ou d’un système de surveillance informatisés destinés à calculer le temps de connexion. Une charte uniquement en cas d’échec de la négociation D’autres casse-têtes existent, notamment le système d’horaires variables. "Des entreprises ont des horaires fixes et flexibles. Est-ce que ce système a toujours cours avec le télétravail ? Faut-il dès lors organiser un système de badgeable à distance pour contrôler le temps de travail ?", s’interroge Michel Morand. Par ailleurs, quelles conséquences en cas de dénonciation d’accord sur le télétravail ? Dans ce contexte, l’avenant signé avec le salarié ne s’applique plus. Doit-il dans ce cas réintégrer l’entreprise ? "Probablement sauf si le télétravail a été contractualisé par une rédaction imprécise du document (avenant) d’acceptation du télétravail", poursuit l'expert. De plus, "compte tenu de l’évolution de la jurisprudence, le recours à une charte ne paraît possible qu’en cas de négociation préalable s’il existe un délégué syndical et en cas d’échec de cette négociation". Enfin, la généralisation du télétravail met à rude épreuve l’expression des revendications salariales et "suppose d’adapter l’exercice des droits collectifs à une situation qui par définition individualise la relation du travail". A défaut, comment faire grève de chez soi sans que cette absence soit taxée d’injustifiée et qualifiée d’abandon de poste ? Une attitude qui peut conduire à un licenciement disciplinaire. Et donner quelques sueurs froides aux professionnels RH !
Anne Bariet
Yorumlar